Expo' / ULB






Du 22 septembre au 23 décembre 2017,
dans la salle Allende / ULB, campus du Solbosch :

Syphilis, la grande simulatrice     


Visite virtuelle 360° : https://www.ulb.be/fr/culture/expositions-ulb-culture
[ Trouver l'expo' dans la liste et cliquer sur le lien... ]



La syphilis a inspiré l'horreur pendant des siècles :  mentionnée depuis le XVe [ mais il est permis de penser qu'elle sévissait en Europe dans l'antiquité, déjà ], incurable malgré l'invention de traitements hallucinants, diabolisée, instrumentalisée moralement, idéologiquement, politiquement...

En février 1880, Émile Zola publiait dans le Voltaire, le dernier chapitre de Nana. Ce roman social se termine par la mort de l'héroïne, victime de la « petite vérole » alors que l'ensemble de l'œuvre porte à croire qu'il s'agit de la grande vérole, la syphilis :
    [...]  Rose donna un dernier coup d’œil pour laisser la pièce en ordre. Elle tira un rideau devant la fenêtre ; puis, elle songea que cette lampe n’était pas convenable, il fallait un cierge ; et, après avoir allumé l’un des flambeaux de cuivre de la cheminée, elle le posa sur la table de nuit, à côté du corps. Une lumière vive éclaira brusquement le visage de la morte. Ce fut une horreur. Toutes frémirent et se sauvèrent.
    - Ah ! elle est changée, elle est changée, murmurait Rose Mignon, demeurée la dernière.
    Elle partit, elle ferma la porte. Nana restait seule, la face en l’air, dans la clarté de la bougie. C’était un charnier, un tas d’humeur et de sang, une pelletée de chair corrompue, jetée là, sur un coussin. Les pustules avaient envahi la figure entière, un bouton touchant l’autre ; et, flétries, affaissées, d’un aspect grisâtre de boue, elles semblaient déjà une moisissure de la terre, sur cette bouillie informe, où l’on ne retrouvait plus les traits. Un œil, celui de gauche, avait complètement sombré dans le bouillonnement de la purulence ; l’autre, à demi ouvert, s’enfonçait, comme un trou noir et gâté. Le nez suppurait encore. Toute une croûte rougeâtre partait d’une joue, envahissait la bouche, qu’elle tirait dans un rire abominable. Et, sur ce masque horrible et grotesque du néant, les cheveux, les beaux cheveux, gardant leur flambée de soleil, coulaient en un ruissellement d’or. Vénus se décomposait. Il semblait que le virus pris par elle dans les ruisseaux, sur les charognes tolérées, ce ferment dont elle avait empoisonné un peuple, venait de lui remonter au visage et l’avait pourri.
    La chambre était vide. Un grand souffle désespéré monta du boulevard et gonfla le rideau.

    - À Berlin ! à Berlin ! à Berlin !

Quelques décennies après l'explication par Louis Pasteur de l'existence des bactéries pathogènes, la découverte, au tout début du XXe siècle, de l'agent causal de cette maladie honteuse a ouvert les portes à la recherche acharnée d'un traitement, malheureusement sans vraie réussite avant longtemps, notamment pendant la "Grande Guerre". Enfin, l'utilisation de la pénicilline, à partir des années 1940, s'est révélée décisive.
Aujourd'hui, la syphilis ne fait plus peur car elle se guérit facilement mais elle reste discrète, entachée de mépris. [ Et le SIDA a pris le relai en ce qui concerne la diabolisation, la stigmatisation, le rejet,... Déplorable recommencement. ]

L'exposition qui s'est tenue à l'ULB en 2017 s'intéresse en détails à tout cela et davantage.
Vu qu'il s'agit d'une bactérie, la microscopie n'est évidemment pas étrangère à la question.



   Fritz Schaudinn
 

           et
Erich
Hoffmann




ont identifié, en 1905, l'agent pathogène
                                               responsable de la syphilis :  Treponema pallidum [ < Spirochaeta pallida ].



Cette bactérie Gram nég. spiralée est longue, selon les sources, de 5~8 µm à 15~20 µm. Son diamètre mesure 2 µm, voire moins.
Pareille étroitesse, à la limite du pouvoir de résolution d'un microscope optique, complique la détection de Treponema pallidum.
D'autant que cette bactérie s'est révélée difficile à colorer, réagissant très faiblement à la méthode de Gram, par exemple, et guère mieux au variantes du Giemsa. D'où le "pâle" de "tréponème pâle". [ Le radical trépo-, du grec ancien, signifie tourner. ] La coloration argentique donne depuis longtemps d'assez bons résultats et plus tard, l'immunofluorescence est venue enrichir les possibilités d'analyse au microscope. Mais ce qui, bien vite, a marqué les esprits, c'est l'observation en "fond noir" de la bactérie vivante car Treponema pallidum est très mobile et ses déplacements dus à un mouvement hélicoïdal sont caractéristiques.  

Le microscope utilisé par Erich Hoffmann [ 4e portrait, en haut de cette page ] est manifestement un "Stativ I" de Carl Zeiss Jena, probablement un "Ib".  
Là, sur la photo, il ne me paraît pas équipé d'un condenseur pour le fond noir.

Avant la découverte de la pénicilline, la recherche d'un remède à la syphilis et ses terribles effets connut divers rebondissements.
 Il y eut notamment l'épopée du "606", renommé Salvarsan, suivi du Neosalvarsan, la "magische Kugel" de Paul Ehrlich...
[ Ce sujet sera précisé plus tard... ]

   

  ;o)

et aussi ceci :
après avoir connu la gloire, Julius Wagner-Jauregg ( 1857~1940 ), neurologue et psychiatre autrichien, fait l'objet, depuis 2004, d'un désaveu. En cause, l'idéologie et certaines théories qu'il a défendues, certaines pratiques qu'il a préconisées. Ce n'est toutefois pas cela qui m'incite à évoquer ici ce personnage mais plutôt le prix Nobel qu'il reçut en 1927 pour sa "malariathérapie" ou "paludothérapie", mise au point dix ans plus tôt. Qu'on se détrompe, il ne s'agit pas d'une thérapie contre la malaria... mais par la malaria ! Disons, pour résumer : Julius Wagner-Jauregg avait remarqué qu'une paralysie liée à la syphilis diminuait lors d'accès de fièvre. Il en conclut qu'une température corporelle élevée affaiblit le tréponème. Or on pouvait tant bien que mal contrôler le paludisme grâce à la quinine tandis qu'on était impuissant à vaincre la syphilis... Dès lors, on se mit à inoculer l'agent de la malaria aux malades atteints par la syphilis. Faut-il croire que le désarroi était immense face à la "grande simulatrice", pour que la communauté scientifique se félicite d'un tel traitement ! La prestigieuse récompense a été attribuée à Julius Wagner-Jauregg « for his discovery of the therapeutic value of malaria inoculation in the treatment of dementia paralytica » [ Wikipédia ; nobelprize.org ; ... ]

En retour, l'utilisation de la paludothérapie pour le traitement des formes neurologiques tertiaires de la syphilis, introduite en 1917 par Wagner-Jauregg, et consistant à infecter les patients à intervalles réguliers pour induire des rémissions de leur maladie, a permis de faire des études cliniques du paludisme hors zone d’endémie. Ces études ont montré que les malades infectés de façon répétée par le même parasite étaient capables de monter une immunité protectrice contre ce parasite et que cette immunité était non seulement espèce-spécifique, mais aussi souche-spécifique. [ Morphologie, biologie et cycle des Plasmodium parasites de l'homme, communication par Marcel Hommel à l'Académie nationale de médecine, en France, séance du 30 octobre 2007 / Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 7, 1235-1246 / http://www.academie-medecine.fr/morphologie-biologie-et-cycle-des-plasmodium-parasites-de-lhomme/ ]

Ci-dessous, à gauche, la reproduction fidèle d'une diapositive pour lanterne magique*.
Comme indiqué, il s'agit d'une photomicrographie d'une préparation de Treponema pallida = pallidum.
Le négatif original a plus que probablement été réalisé sur plaque sensible de même format [ 8,3 x 8,3 cm² ], les duplications par contact conservant le grossissement de 1000x.
Compte tenu de ce qui est relaté plus haut, je me suis demandé – simple supposition – si la prise de vue n'a pas été faite en fond noir, puis qu'en ajoutant une étape intermédaire dans le procédé de reproduction, on aurait inversé les densités pour rendre la projection plus lumineuse. [ Que l'image soit alors retournée est bien sûr sans importance. ]

Du coup, je me suis amusé à l'inverser numériquement. C'est ce qui figure à droite.




Est-ce un retour à l'original ?...
                   Sinon, cela ne donne qu'une idée approximative de l'apparence du tréponème pâle quand on l'observait en fond noir
                                parce que l'effet optique résultant de cette technique diffère d'une simple inversion des luminosités.
                                                                     L'impression globale est toutefois assez semblable.

* Pour faire court ici, car c'est en fait de tout petit un monde qu'il s'agit...
héritière de la camera obscura, la « lanterne magique » [ « lanterne de peur » à l'origine ] existe depuis le XVIIe siècle. Au fil du temps, elle s'est perfectionnée, tant au point de vue optique qu'en ce qui concerne la source de lumière ; par ailleurs, d'ingénieux systèmes ont été inventés pour créer des images animées. On peut considérer que les microscopes solaires, misant eux aussi sur la fantasmagorie mais également vecteurs d'instruction, sont une variante de la lanterne magique.
Au XIXe siècle, celle-ci a connu une nouvelle jeunesse avec l'invention de la photographie et s'est rapidement révélée un support didactique de choix : des sociétés ont acquis la renommée en fabriquant des appareils de projection performants ainsi qu'en proposant des catalogues pléthoriques de diapositives sur les sujets les plus divers. [ Dans le même temps, les stéréoscopes permettaient de visionner des paires de diapositives avec un impressionnant effet tridimentionnel. ] De remarquables collections sont notamment conservées aux archives de l'ULB.
/ / /  La production d'une même image en grande quantité pour sa commercialisation, était réalisée par la technique du contretype...  \ \ \
Mais en 1925, le Leica arrive sur le marché. C'est le premier appareil photo "petit format" [ 35 mm ], inventé une dizaine d'années plus tôt par Oskar Barnak qui travaillait chez Leitz, firme réputée pour ses microscopes. Cela marque le début d'une nouvelle ère de la photographie, si bien que dès après la seconde guerre mondiale, les grandes diapositives, encombrantes lourdes et fragiles avec leurs deux plaques de verre, sont reléguées au rang d'antiquités. Déclinés sous d'innombranles variantes, les appareils "24x36" envahissent les cinq continents, satisfaisant les amateurs, dilettantes ou passionnés, comme les professionnels sur le terrain. La projection de diapositives en couleurs atteint son apogée avec des "slide shows" spectaculaires, obtenus à l'aide de multiples projecteurs s'allumant et s'éteignant selon une programmation informatisée. Et la 3D est au rendez-vous sur l'écran grâce à la polarisation.
Or tout cela est déjà révolu. Les effets obtenus lors de telles projections paraissent bien désuets à côté de ce que permettent les actuels appareils photo numériques, les logiciels de traitement d'image et les vidéoprojecteurs. La poésie qui se dégage de vieilles diapositives pour lanterne magique en noir et blanc n'en est que plus émouvante.
Si les thèmes étaient variés, la microscopie n'a pas fait exception. Malgré leur ancienneté, certaines images frappent par leur qualité technique, leur beauté, l'importance de ce qu'elles montrent... ou l'ignorance manifeste de cette importance.
La diapositive – un dessin didactique – projetée à l'aide d'une imposante lanterne magique, dans le cadre de l'exposition Les 100 ans d'un Nobel , représente diverses moisissures, côte à côte, sans distinction particulière, parmi lesquelles le genre Aspergillus ( pathogène ) et le Penicillium !
Les vertus de celui-ci étaient encore ignorées. La pénicilline n'avait pas fait son entrée dans la pratique médicale.