1er triptyque - vitrine n°2
 
Descriptif des instruments
notes techniques, historiques et anecdotes
[ Quelques développements restent à venir. ]


Cette dernière vitrine du premier triptyque [ plutôt consacré aux aspects historiques ], s'intéresse principalement à la période charnière que constituent les dernières décennies du XIXe siècle et les premières du XXe.

La silhouette du microscope "classique" s'est confirmée. C'est elle qui est aujourd'hui inscrite dans l'imaginaire collectif ; celle qui, souvent, symbolise la biologie, la médecine, voire la recherche scientifique dans un champ plus large. Et pour cause :  bien que les microscopes de laboratoire aient considérablement évolué depuis les années 1930, y compris en leur aspect, c'est cette forme "classique" qui préside encore à la fabrication de la plupart des "jouets".  ;o)  Il faut dire qu'elle concrétise très simplement l'essence même du microscope optique composé.

Un effort d'uniformisation se dessine ; du moins des tendances, fruits de tâtonnements chez les divers concepteurs.
Treize marques apparaissent dans la vitrine [ dont cinq assez discrètement, chacune par le biais d'un objectif ]. De ces treize fabricants, qui se répartissent dans huit pays, plusieurs ont de nos jours disparu tandis que d'autres se sont reconvertis [ cfr OIP ]. Ne reste que le peu de marques prestigieuses qui ont survécu, au prix de multiples tourments...

Des normes se précisent. Sont principalement concernés :  le diamètre intérieur du tube, donc la dimension correspondante des oculaires ; la longueur mécanique du tube et sa longueur optique [ Ceci sera expliqué ailleurs. ] ; la monture vissante des objectifs et leur distance de parafocalisation...

Le rôle déterminant du condenseur et de l'immersion ainsi que le calcul d'objectifs apochromatiques sont maîtrisés, permettant d'atteindre la meilleure résolution théoriquement possible. [ Voir plus bas, les paragraphes concarés à Ernst Abbe. ]  Mais une révolution s'annonce :  le contraste de phase.


Quelques objets remarquables...

Les ensembles microscope + accessoires
à l'étage supérieur, de gauche à droite :
     2.1.1.--     Carl Zeiss Jena, Stativ Ic
 
     2.1.2.--     Voigtländer 
     2.1.3.--     Spencer Buffalo [ U.S. Navy ]  [ + fond noir ] 

     2.1.4.--     Stiassnie 
     2.1.5.--     Zeiss Winkel Göttingen  [ + contraste de phase ]
à l'étage inférieur, de gauche à droite :
     2.2.1.--     Mazo 
                      + lampe à huile
     2.2.2.--     Watson 'Royal' 
     2.2.3.--     Seibert !  [ développement à venir ]
     2.2.4.--     Kagenaar 



Brève contextualisation

[ Parce que le contenu de la vitrine n°2 se prête bien à une telle introduction, q
uelques considérations historiques, non exhaustives, seront progressivement développées et complétées ici, avant de constituer une entité à part... ]

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la théorie cellulaire, l'histologie, l'étude des mécanismes de reproduction du vivant, la découverte du monde bactérien, sont en pleine effervescence.
Les investigations des biologistes réclament des instruments de plus en plus performants. Invention du siècle, la photographie, permettant de pérenniser et partager les observations, suscite immédiatement un intérêt qui ne sera jamais renié. Mais elle aussi apporte son lot d'exigences.

Symptomatiques sont sans doute les publications consacrées à la technique microscopique qui abondent en Angleterre et ailleurs, dont de nombreux ouvrages de vulgarisation réédités à de multiples reprises. [ Cfr notre bibliothèque, très incomplète bien que... ]

Autre signe du temps, la Microscopical Society fut fondée en 1939, à Londres, par Sir John Thomas Quekett. D'emblée les dimensions 3" x 1" y furent encouragées pour les préparations microscopiques. Ce format s'est généralisé et  sauf en cas d'applications particulières, nous l'utilisons toujours actuellement. Devenue Royal en 1866, la vénérable institution est encore brillamment active de nos jours [ www.rms.org.uk/ ]. Elle eut une influence notable sur le matériel de microscopie. Par exemple, en 1857, la monture vissante des objectifs fut normalisée à son initiative, puis en 1896, divers autres paramètres.
Dans les années 1860, Mordecai Cubitt Cooke, fondateur de la Society of Amateur Botanists, était aussi impliqué dans l'édition du mensuel Hardwicke's Science-Gossip où fut publiée, en 1865, une lettre par laquelle un membre de l'association précitée suggérait que « some association among the amateur microscopists of London is desirable ». La même année, naissait la deuxième organisation au monde consacrée à la microscopie :  le Quekett Microscopical Club [ www.quekett.org/ ]... Quekett en hommage au pionnier, et Club plutôt que Society pour affirmer la vocation, la volonté de s'adresser aux amateurs.

Au cours de quelques décennies, les fabricants de microscopes anglais rivalisent d'un remarquable savoir-faire :  plusieurs enseignes prestigieuses viennent enrichir le marché ; en 1865, ils sont 16. Dans le même temps, les Français ne déméritent pas sur le plan qualitatif ; parmi eux, Hartnack, internationalement renommé, surtout pour ses objectifs à immersion à eau avec correction en fonction de l'épaisseur du couvre-objet. À juste titre, l'optique allemande jouit aussi d'une réputation flatteuse. Pour exemple : les frères Wilhelm et Henry Seibert commencent à produire des microscopes en 1867 [ bientôt aidés par Ernst Gundlach qui émigrera par la suite vers les USA ] et dix ans plus tard, Robert Koch réussit, avec un objectif fabriqué sous cette enseigne, la première photographie d'une bactérie, en l'occurrence l'Anthrax.
D'une manière générale, la conception des microscopes "continentaux" reste empreinte de sobriété tandis que les instruments fabriqués outre-manche se distinguent par une sophistication qui touche à l'inutile... Mais quels objets fantastiques voient ainsi le jour !  [ Cfr plus bas, le Watson Royal. ] Ce n'est pas pour rien que le Belge Henri van Heurck, éminent diatomiste, s'adresse à la maison Watson pour faire fabriquer un instrument exceptionnel répondant à ses souhaits. Lequel sera commercialisé par la suite, le modèle étant désigné dans le catalogue de la marque sous le nom de son célèbre premier commanditaire.

Note :  les frustules siliceux des diatomées – algues unicellulaires – présentent des détails
magnifiques mais d'une telle finesse qu'ils font de certaines espèces de ces êtres microscopiques
des tests permettant de contrôler le pouvoir de résolution d'un microscope [ condenseur + obj. + oc. ].


Or cette suprématie anglaise allait petit à petit céder le pas à une production allemande...

Un personnage en particulier est à l'origine de ce revirement. Il s'agit d'Ernst Abbe, physicien qui se spécialisa en optique et apporta ses compétences à Carl Zeiss.

En 1869, il confirmait
et précisait théoriquement l'utilité essentielle du condenseur pour l'observation microscopique à grandissement élevé.

Comprenant que la diffraction de la lumière participe de façon déterminante à la formation de l'image fournie par un microscope composé, il établit la théorie fondamentale des phénomènes en jeu, ce qui permit, à partir de 1872, de fabriquer des objectifs sur base de calculs mathématiques. Une de ses formules, devenue célèbre, exprime le pouvoir séparateur en fonction de la longueur d'onde de la lumière utilisée
*, de l'angle d'ouverture des rayons issus du champ observé qui pénétrent dans le système [ ce qui dépend de l'objectif et du condenseur ] et de l'indice de réfraction du milieu traversé.




On peut en déduire le pouvoir séparateur maximal théorique d'un microscope optique...




*  Abbe avait donc saisi que la résolution pouvait être quelque peu améliorée en utilisant la lumière ultraviolette [ par la photographie, au moyen d'optiques en quartz transparentes à ce rayonnement ] et en 1877, il aurait annoncé :  « Je crois cependant que les instruments qui, dans le futur, seront à la base de notre connaissance des ultimes particules de la matière au-delà de ce qui est réalisable par le microscope moderne, auront peu en commun avec celui-ci sauf le nom. »
Parole de visionnaire :  un bon demi-siècle plus tard survenait la microscopie électronique...
[ ainsi que les premiers accélérateurs de particules. ] 



En 1877, Abbe encore améliora de façon décisive la technique de l'immersion « homogène »**
et en 1886, il calcula les premiers objectifs apochromatiques. Un système de lentilles ainsi conçu offre une correction poussée, entre autres de l'aberration chromatique qui, sinon, compromet la netteté. On pouvait donc envisager la fabrication d'objectifs hautement performants, auxquels devaient généralement être associés des oculaires spécialement calculés, dits compensateurs. La production fut d'emblée possible grâce à la collaboration de Otto Schott, chimiste, génial spécialiste du verre. La rencontre des trois hommes Carl Zeiss, Ernst Abbe et Otto Schott fut un événement majeur dans l'évolution du microscope optique. On atteignit dès alors des pouvoirs de résolution qui n'ont rien à envier à ceux des instruments modernes... avec un contraste moindre, toutefois, et surtout une planéité de champ limitée.


**  L'objectif trempe dans une goutte déposée sur la préparation ; non plus une goutte d'eau ou de glycérine comme cela se pratiquait déjà, mais une goutte d'huile de cèdre dont l'indice de réfraction est quasi égal à celui du verre. [ Actuellement, on emploie des huiles synthétiques qui ne sèchent pas. ] 

Si l'entreprise Zeiss profita en premier de ces progrès, bientôt, d'autres fabricants, en divers pays, maîtrisèrent également les techniques à mettre en œuvre et furent capables d'optimiser leurs produits.



  [ Carte postale, 1910 ]

Pour la petite histoire :
l'impressionnant mémorial consacré à Ernst Abbe, à Jena, renferme des bronzes de Constantin Meunier ; réalisé en 1909~11, il est l'œuvre de Henry Van de Velde, acteur majeur du mouvement moderniste, l'un des fondateurs de l'Art nouveau belge, avec Victor Horta et Paul Hankar.



Les objets plus en détails

Carl Zeiss Jena,
Stativ Ic  [ n°39671, vers 1905~1910 ]  

Mazo

Marqué à l'arrière :  E. Mazo  /  33, Bd St Martin  /  Paris ;
datant probablement du dernier quart du XIXe siècle.
-  Pied massif ; tube extensible ;
-  platine ronde, tournante et centrable ;
-  tourelle pour 3 objectifs à monture RMS ;
   -  3 objectifs [ n°1, 4 & 6 ; monture femelle non RMS ] + 3 bagues adaptatrices ;
   -  1 objectif supplémentaire n°2 ( non RMS ) ;
   -  2 oculaires exposés [ n°2 & 4 ] + n°3 non visible ;
   -  condenseur à iris, réglable en hauteur et décentrable.

2.2.1.2     Présentée à proximité du statif Mazo :
une lampe à huile destinée à la microscopie, réglable en hauteur ; ici en position basse dans son coffret.
D'origine indéterminée, elle ne porte pas de marque. Ce type d'éclairage complétait assez communément les microscopes au temps des modèles cuivrés exposés ici.
Au contraire de lampes plus sophistiquées, celle-ci ne comporte pas de lentille collectrice. Pas non plus de dispositif réfléchissant qui permettrait d'exploiter au mieux toute la lumière diffusée par la flamme. Le verre bleuté rapproche la lumière obtenue de celle du jour, du moins au point de vue colorimétrique parce que l'intensité est évidemment très faible.

2.2.1.3     Présentés à proximité du statif Mazo :
>  un objectif de marque OIP = Optique et instruments de précision [ Gand, Belgique ], identifié "n°3" à l'ancienne, mais aussi par son grossissement "10x" selon l'usage moderne ;
>  un objectif triple'²³ de marque Nachet [ prestigieuse firme française, fondée en 1839 et définitivement disparue en 2010, après beaucoup de difficultés au cours de la deuxième moitié du XXe siècle : partenariat, rachats successifs, restructuration... ].
     '²³  C'est un 11x composé de trois parties telles qu'en dévissant l'extrême puis la moyenne, on obtient des grossissements inférieurs :  respectivement 7x et 2,5x.


Stiassnie

Ici, le bien nommé microscope professionnel du fabricant parisien, à l'architecture inhabituelle. Ce modèle aurait été produit dans les années 1930. De fait, il apparaît en illustration dans les 6e et 7e éditions de l'incontournable Précis de microscopie de Maurice Langeron [ éd. Masson & Cie, 1942, 1949 ] mais pas dans la précédente qui date de 1934. J'ai vu vendre aux enchères une version de cet instrument moins aboutie, donc probablement plus ancienne que celle exposée.
Maurice Stiassnie s'inscrit dans la lignée de prestigieux opticiens installés en France : Georges Oberhaeuser, Edmund Hartnack, Constant Vérick...
À ce sujet, on lit avec intérêt l'article d'Alain Berjonval ( Les Sables d’Olonne, Vendée ), publié en 2012 dans les pages du Quekett Microscopical Club :
http://www.quekett.org/about/bulletin/articles/maurice-stiassnie
.

Laure Albin Guillot a-t-elle utilisé un microscope de cette marque pour réaliser ses Micrographies
Supposition hasardeuse que je n'ai pas encore pu vérifier. Je suis tenté d'y croire à cause d'une page publicitaire non datée, il est vrai de la réputée maison Draeger, à qui l'artiste, très connue en son temps, confiait ses travaux d'imprimerie.
[ Toute information est bienvenue ! ]




Watson 'Royal'

Dans le catalogue 1912-13 de W. Watson & Sons, ce microscope est décrit comme suit : 
For high-class practical work, with absolute rigidity, in a convenient size, this instrument is unexcelled, for it combines all those working qualities which have gained so high reputation for the Van Heurck Microscope, but in a more compact form and at a lower cost.




Kagenaar
Dans son coffret, un beau statif d'un fabricant des Pays-Bas, aujourd'hui peu connu. L'optique est signée Leitz et Zeiss.
>  Avant de s'installer à son compte, D. B. Kagenaar ( 1842~1924 ) était technicien à l'Université d'Utrecht. Il a produit une large variété d'instruments, à la demande de nombreux professeurs et institutions, jusqu'en Russie et aux U.S.A.. En collaboration avec Henri Ferdinand Van Heurck, Theodor Engelmann professeur dans l'université d'Utrecht a fait réaliser par Kagenaar des lampes à rhéostat permettant l'emploi d'ampoules de 2 à 12 volts. On en était aux débuts de l'éclairage électrique appliqué à la microscopie, dont Van Heurck fut le pionnier.
Tant l'œuvre d'Engelmann que celle de Van Heurck feront l'objet de développements dans ce site.
[ Sources : http://stichtinghistorischemicroscopie.nl/en/category/kagenaar-en/
                  &  Éd. Frison, Henri Ferdinand van Heurck 1838~1909 sa vie, son oeuvre, Rijksmuseum voor de Geschiedenis der Natuurwetenschappen, communic. n°111,
Leyde, 1959. ]


[ Davantage d'informations concernant la vitrine n°2, plus tard, ici... ou dans les pages annexes. ]